Le CNPAV dénonce la corruption systématique au profit du réseau de l’ex Président de la République Démocratique du Congo Joseph Kabila dans le cadre du contrat Sicomines. La coalition appelle le gouvernement congolais à suspendre et poursuivre toutes les personnes impliquées, à réviser d’urgence la convention Sicomines et à récupérer les biens mal acquis.
La coalition anti-corruption Le Congo n’est pas à vendre (CNPAV) apprend avec désarroi qu’au moins $30 millions – et probablement bien plus - ont été payés au titre de pots-de-vin dans le cadre du projet « minerais-contre-infrastructures » de la Sino-Congolaise des Mines (Sicomines).
En effet, selon le rapport du Sentry et les articles de presse de Bloomberg publiés dans le cadre du #CongoHoldUp, la Sicomines a versé des millions de dollars à une société intermédiaire, Congo Construction Company (CCC), appartenant au ressortissant chinois David Du Wei et à Guy Loando, actuel Ministre d’état. Celle-ci a ensuite redistribué ces mêmes millions à des personnes et sociétés liées à l’ancien Président. Cela s’est fait avec la participation active de la BGFI Bank, dirigée à l’époque par Francis Selemani, le frère de l’ex-président.
De l’organisation du Sommet de la Francophonie au projet hydroélectrique de Busanga, de la route à péage Lubumbashi-Kasumbalesa au BCPSC, la famille Kabila et ses alliés se sont enrichis abusivement et continuent encore aujourd’hui à jouir de cette corruption et ce au détriment de la population qui continue à croupir dans la misère.
Ces pots-de-vin peuvent clarifier pourquoi les dirigeants ont jusque-là accepté une mise en œuvre décevante et opaque de l’accord sino-congolais. Au bout de 13 ans de mise en œuvre, le Congo a encaissé moins d’un tiers des prêts promis pour la construction de routes et d’hôpitaux, soit moins d’un milliard de dollars. Le remboursement de ces prêts traine, bien que Sicomines bénéficie d’une exonération fiscale totale, soi-disant pour rembourser plus vite. A titre comparatif, des entreprises minières comme TFM et Mutanda ont en moins de temps payé plus d’impôts à l’Etat, que le remboursement de la Sicomines à Exim Bank.
La campagne Le Congo n’est pas à vendre appelle à plusieurs mesures urgentes :
La corruption tue le Congo et il est temps que ça cesse. Le Président de la République doit s’impliquer activement à côté de la justice et de nombreuses institutions anti-corruption pour récupérer les montants détournés et sanctionner les coupables. A défaut de cela, le peuple congolais les considèrera comme complices. Une conférence de presse sera organisée à cet effet ce vendredi 17 décembre à 10h00 à Lubumbashi.
Comprendre les révélations sur la Sicomines : notes pour la presse
Le contrat minerais-contre-infrastructures : opacité et déception
La collaboration sino-congolaise remonte à 2008, lorsque le Congo et un groupement d’entreprises chinoises signent un accord qui prévoit que le Congo bénéficiera de prêts allant jusqu’à $3 milliards pour la construction d’infrastructures, à rembourser par les profits de la Sino-Congolaise des Mines (Sicomines). Une agence spéciale, le BCPSC, est mise en place pour faciliter la mise en œuvre du projet de collaboration.
Treize ans plus tard, le constat est amer. Moins d’un milliard de prêts d’infrastructures a été débloqué jusque-là. Un consultant engagé par l’ITIE-RDC a eu le plus grand mal à obtenir le chiffre précis des prêts encaissés, une des nombreuses illustrations de l’opacité caractérisant le projet.
Un facteur contribuant à cette opacité est le fait que les prêts – des fonds publics - sont gérés à partir des comptes de la Sicomines, une entreprise majoritairement privée, plutôt qu’à partir du Trésor Public. Malgré les sonnettes d’alarme tirées par la société civile congolaise et l’annonce d’une analyse du contrat, aucune révision contractuelle majeure en faveur de la population congolaise a été noté jusqu’à ce jour.
Les pots-de-vin révélés par The Sentry et Bloomberg
Les enquêtes #CongoHoldUp permettent aujourd’hui d’expliquer en partie pourquoi les mandataires publics ont entretenu l’opacité et ont souvent toléré l’intolérable: la corruption, notamment à travers une société intermédiaire appelée Congo Construction Company. On note quatre opérations suspectes principales.
1. Détournement des fonds de la Francophonie, remboursés plus tard avec l’aide de Congo Construction Company (2012-2013)
En 2012, le comité d’organisation du sommet de la Francophonie est censé recevoir 40 millions de dollars du gouvernement congolais. Le montant est non pas géré au niveau du Trésor public, mais sera versé à la BGFI. Ces 40 millions de dollars deviennent alors des prêts : 26 millions sont versés au Ministre des Finances qui ne donnera que 10 millions au comité d’organisation. Les 14 millions de dollars restants sont versés au Bureau de coordination et de suivi du programme sino-congolais (BCPSC), dirigé par Moise Ekanga. Au lieu de verser ce montant au comité d’organisation du sommet de la Francophonie, le BCPSC distribue cet argent aux sociétés privées de l’entourage de Kabila (la GEL, par exemple).
Pour quand même rembourser cet argent à la BGFI, The Sentry et Bloomberg ont pu retracer que le BCPSC recevait des dépôts d’argent en cash sur son compte, correspondant exactement aux retraits en cash qu’a effectués la CCC le même jour. Alimentée par des sociétés offshores opaques, la CCC a, en effet, pu verser 18 millions de dollars au BCPSC qui a donc aisément pu rembourser son prêt à la BGFI. Ainsi, ce qui a commencé par un détournement de fonds de la Francophonie au bénéfice des entreprises du réseau Kabila s’est apparemment transformé par la suite en pot-de-vin de Congo Construction Company, elle-même très liée aux gestionnaires de la Sicomines.
2. Conflit d’intérêt majeur dans la gestion des péages
Les rapports révèlent aussi un important conflit d’intérêt dans la gestion du péage Lubumbashi Kasumbalesa, la principale voie d’exportation du cuivre et du cobalt. En 2008, le gouvernement congolais octroie un marché de réhabilitation et de gestion de ce tronçon stratégique à la Société de Gestion Routière (SGR), en échange du droit de collecter le péage. SRG appartient d’une part à un des grands investisseurs chinois dans Sicomines (60%), et d’autre part à « SPI » (40%), une société de Zoe Kabila, l’éminence grise et puissant conseiller Katumba Mwanke et Francis Mtwale. SPI est gérée par Moise Ekanga, le patron du BCPSC et le ‘monsieur Chine’ de Kabila.
En 2015, SPI détiendra même l’entièreté des actions de la Société de Gestion Routière. En d’autres termes, tout camion qui quittait la riche province du Katanga doit payer un droit de passage à la famille du président. Nous n’avons pas trouvé de preuve que ce contrat ait été révoqué.
La société SGR versera d’ailleurs de temps à autre des fonds vers Congo Construction Company, pour un total de $7.8 millions entre 2013 et 2016. Simon Cong, un sujet chinois très proche du pouvoir Kabila, affirme avoir repris la gestion de SGR en Novembre 2016, sans en apporter la preuve et en contradiction avec les informations disponibles au registre du commerce.
3. Pots-de-vin autour de l’approbation de la convention hydroélectrique pour Busanga (2016)
Quelques années plus tard, en 2016, la Sicomines a pour projet de construire un barrage hydroélectrique à Busanga, au nord de Kolwezi, pour alimenter son projet minier en énergie. Pour cela, l’investisseur a besoin d’accord pour l’octroi et le développement du site hydroélectrique. Sicomines effectuent alors trois paiements à CCC de 25 millions de dollars au total. Ce montant sera ensuite distribué aux entreprises et proches liés à Kabila. Ces paiements ont été effectués quelques jours autour de la même période de la signature de l’accord pour Busanga.
Par ailleurs, on retrouve dans la société Sicohydro mise en place pour le développement de Busanga un actionnaire étrange : Congo Management (COMAN), une société gérée par l’ex-avocat de M. Kabila devenu depuis lors juge constitutionnel : Norbert Nkulu. Selon le contrat de Sicohydro, cette société privée représente l’Etat et commencera à bénéficier de dividendes dès que le projet commence à livrer l’électricité, ce qui est prévu dans les mois qui viennent.
4. L’évacuation de l’argent sale
Début 2018, avec la fin du pouvoir de Joseph Kabila en perspective, Congo Construction Company commence à jouer un autre rôle. Plutôt que de distribuer de l’argent aux sociétés proches de Kabila, elle commence désormais à les aider à évacuer leur argent vers l’étranger. Après qu’un audit interne révèle des irrégularités chez Congo Construction Company – pièces manquantes, virements suspects, grands retraits en liquide – le siège de BGFI au Gabon ordonne de geler le compte. Malgré le blocage, quelqu’un au sein de la filiale Kinshasa autorisera que le compte soit entièrement vidé – plus de $2 millions retirés en coupures de $50 et de $100.