Le 19 février 2022 - Une commission congolaise a initié des négociations avec Dan Gertler sur la récupération des actifs miniers et pétroliers. La coalition Le Congo n’est pas à vendre se réjouit de ce premier pas mais appelle le gouvernement à s’assurer que l’accord couvre l’ensemble des biens mal acquis et demande de rendre plus transparent le processus et les résultats des négociations.
Selon le compte rendu du conseil des ministres du 18 février, une commission a “conclu avec le groupe Fleurette [de Dan Gertler] les termes de références d'un protocole d'accord devant permettre à notre pays de récupérer les blocs pétroliers et les actifs miniers détenus par Fleurette évalués à plus de 2 milliards usd, ainsi qu'une partie substantielle de royalties de KCC qui lui ont été cédés.”
Si les négociations aboutissent à la récupération effective et sans contrepartie de tous les actifs détenus par le réseau de M. Gertler, alors ce sera un triomphe de la société civile et de la lutte contre la corruption, a déclaré aujourd’hui la coalition “Le Congo n’est Pas à Vendre” (CNPAV).
Or le communiqué laisse trop de zones d’ombres pour crier victoire finale à ce stade.
“Depuis des années, nous clamons haut et fort que le Congo a déjà perdu plusieurs milliards à cause des accords avec Dan Gertler et que ces pertes s'aggravent tant que rien n’est fait”, a déclaré JeanClaude Mputu, porte-parole de CNPAV. “Cette annonce est un premier pas dans la bonne direction, mais il reste encore plusieurs aspects cruciaux à éclaircir: la constitution de la commission, le contenu du protocole d’accord et du règlement à l’amiable, la destination finale des biens récupérés. Ainsi, la voie est encore longue pour que le Congo récupère tous les biens mal acquis par Dan Gertler avec la complicité de l’ex-président Kabila.”
Pour rappel, Dan Gertler est un milliardaire israélien sanctionné en 2017 par le Trésor américain pour corruption au sommet de l’État congolais. Selon le Trésor, il s’était enrichi grâce à des contrats extractifs “opaques et corrompus” en se servant “de son amitié étroite avec le président congolais Joseph Kabila”. Entre fin 2017 et 2021, l’OFAC a sanctionné non seulement Dan Gertler lui-même, mais aussi deux de ses collaborateurs ainsi que 45 autres entités affiliées à Gertler.
Selon les calculs de la coalition Le Congo n’est pas à vendre, la RDC a déjà perdu près de 2 milliards de dollars de revenus en raison des contrats douteux conclus avec Gertler entre 2003 et 2020. Malgré l'avènement du Président Tshisekedi au pouvoir, ses sociétés continuent à toucher plus de $200.000 par jour grâce à ces anciens contrats. Si rien n’est fait, 1,76 milliard de dollars supplémentaires pourraient échapper aux caisses de l'État entre 2021 et 2039.
“Nous sommes inquiets que les négociations ne couvrent qu’une partie de ce que Dan Gertler a obtenu illégalement sous le régime Kabila”, a déclaré Jean-Pierre Okenda, chercheur au sein de Resource Matters et membre du CNPAV. “Aujourd’hui, Gertler touche des royalties dans trois projets miniers: KCC, Mutanda Mining et Metalkol. Pourquoi la commission ne traite-t-elle que des royalties de KCC? Qu’en est-il de Mutanda? De Metalkol? De toutes les autres pertes subies par le passé? Il faut veiller à ce que l’accord ne mette pas en péril les enquêtes ouvertes dans plusieurs pays qui permettraient de faire toute la lumière sur les pratiques de corruption éventuelles dans lesquelles il aurait été impliqué.”
Cette décision revient en premier à tous ceux qui ont élevé la voix pour dénoncer les méfaits de Gertler.
Parmi eux, deux banquiers congolais, Gradi Koko et Navy Malela, qui ont eu le courage de lancer l’alerte en 2020 pour dénoncer l’existence d’un réseau de blanchiment d’argent au sein de leur banque qui aurait été utilisé par Gertler pour contourner les sanctions américaines. Face aux menaces, ils ont dû quitter la RDC puis, par mesure de représailles, ils ont été condamnés à mort au Congo. Le CNPAV s’attend à ce que ce retrait de Gertler entraîne l’annulation de cette condamnation à mort.
La coalition appelle aussi à rassurer l’opinion publique que cet accord ne soit pas juste un moyen pour les dirigeants politiques de lever des fonds avant les élections de 2023. En effet, l’approche des cycles électoraux, le risque de détournement de recettes minières s’accroît considérablement. Si le gouvernement décide de revendre à nouveau les actifs, il doit impérativement le faire par appels d’offres comme l’exige la loi, et la destination des fonds doit être connue de tous.
“Le gouvernement doit rendre publics tous les paramètres de cette négociation, tant au niveau de la procédure que des résultats,” selon Freddy Kasongo, directeur de l’OEARSE et membre du CNPAV. “Nous devons nous assurer que seul le peuple congolais soit le bénéficiaire de ces démarches.”
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Dan Gertler a nié à plusieurs reprises les allégations à son encontre, notamment d’être impliqué dans des affaires de corruption alléguées par le gouvernement américain ou avoir privé la RDC de revenus.
A notre connaissance, sans être exhaustif, le réseau de Dan Gertler détient jusqu’à ce jour les actifs miniers suivants:
○ Blocs pétroliers I et II du Graben Albertine
○ Royalties dans le projet Kamoto Copper Company, estimés à $1,085 milliards ○ Royalties dans le projet Mutanda Mining, estimés à $380 millions
○ Royalties dans le projet Metalkol, estimés à $299 millions
○ Permis d’exploitation détenus par la société minière de Moku-Beverendi (PE5047, PE5057, PE12709, PE12710, PE12711, PE12712)
○ Permis de recherche détenus la société Sanzetta Investments (PR7500-PR7515)
Gertler est aussi accusé par plusieurs ONG et media d’avoir utilisé des prête-noms pour continuer à acquérir des actifs miniers depuis les sanctions, notamment dans le très prisé secteur du cuivrecobalt dans les 6 mois précédant les élections de fin 2018. L’un d’entre eux serait l’homme d’affaires inconnu Ellie Berros, qui détient aujourd’hui des participations dans des contrats miniers de grande valeur, nommément celui entre la Gécamines et la société Evelyne Investissement. Ce contrat fait l’objet d’une enquête des autorités congolaises.